Charmant s'est fait la malle, reste plus que moi (r)

HANNE & LIAM
« Curiosité n’est que vanité. Le plus souvent,
on ne veut savoir que pour en parler. »

Ce soir, je ne travaillais pas. J'avais posé quelques jours, histoire de me reposer, de me changer les idées. L'envie de m'isoler un peu, de me retrouver avec moi-même et pourquoi pas, d'essayer de faire le point. Mais je n'étais guère convaincu, ce n'était pas la première fois que je faisais ça et ma situation actuelle témoignait bien de l'inutilité de mes mises au point avec moi-même. J'étais aussi déterminé qu'un mollusque et incapable de me tenir aux décisions que j'essayais de m'imposer, parfois. J'avais passé une grande partie de la journée dehors, à travailler dans le jardin d'un de mes voisins. Couper les branches, les haies, ramasser les feuilles, les brûler. Le travail ne manquait pas et ce vieux bonhomme n'était plus en état de le faire. D'une nature peu charitable, je faisais ce boulot en échange de quelques billets, évidemment. Tout le monde en ressortait gagnant quand on savait le prix demandé par les professionnels pour faire un tel travail. Mais du coup, trop concentré à m'appliquer, je n'avais pas eu l'occasion de penser ni de réfléchir. Je me promettais d'y songer ce soir au lieu de m'avachir devant la télévision. Mais je devais faire un petit détour auparavant, par le restaurant japonais, pour rapporter un téléphone que j'avais emprunté à un ami alors que le mien avait rendu l'âme. Il en avait désormais besoin et bossait comme serveur là-bas. Ça me ferait une sorte de petite sortie et j'essayais de me persuader que ce serait bénéfique pour mon moral. Je prenais le temps de me doucher et de me raser brièvement, n'aimant pas trop avoir l'air négligé. Une fois correctement vêtu, je regagnais ma cuisine et soupirais. La vaisselle commençait à s'empiler et je n'avais même pas débarrassé mon petit-déjeuner. N'aimant pas vivre dans le désordre et la saleté, je décidais de retarder mon départ pour m'occuper de ça. Une heure plus tard, tout était propre et rangé. De quoi me satisfaire. Il était désormais 20h et je décidais de me lancer dès maintenant si je voulais pouvoir "profiter" du reste de ma soirée.

Une dizaine de minutes plus tard, je me garais sur le parking du restaurant et rentrait dedans avec cette petite démarche qui m'était propre. Mélangeant désinvolture et désintérêt pour mes semblables. Et, tandis que je traversais la salle pour m'approcher du comptoir, mon regard se darda sur une table en particulier. Là, assise seule, la mine plutôt déconfite se trouvait Hanne. Je haussais un sourcil, étonné. Passant non loin d'elle, nos regards se croisèrent mais je détournais rapidement la tête, décidant dans un premier temps de l'ignorer. De toute façon, elle devait attendre quelqu'un. Mais alors que j'attendais que mon ami réclame sa pause, je ne pouvais m'empêcher de la détailler de dos. C'était étrange, mais chaque fois que je la voyais j'étais comme étonné de ce qu'elle pouvait dégager. J'avais pourtant l'habitude depuis le temps, mais non. Cette candeur, je ne l'avais jamais vu nul part ailleurs. « C'est bon, j'ai 10 minutes. » Je sortais immédiatement de mes pensées et me redressais, posant mon regard sur mon ami. Je lui faisais signe de passer devant alors que nous quittions le restaurant pour une petite cigarette. Je lui rendais son téléphone et nous commencions à discuter, de choses sans grand intérêt. Mais, appuyé contre la baie vitrée du restaurant, je ne pouvais m'empêcher de jeter des coups d’œils à l'intérieur, en direction de Hanne. Je sentais que quelque chose se tramait. Elle ne semblait ni impatiente, ni excitée face à l'idée d'un tête à tête. Et plus les minutes passaient, plus son visage se décomposait. Il n'en fallut pas plus pour me mettre la puce à l'oreille. J'esquissais alors une moue déçue, presque peiné pour elle. C'était la première fois que je voyais l'envers du décor. J'étais de ceux qui ne viennent pas toujours aux rendez-vous promis, mais je n'avais jamais vu ce que pouvait ressentir l'autre à ce moment-là. La culpabilité me sauta à la gorge et je baissais les yeux, n'écoutant plus depuis longtemps déjà les paroles de mon interlocuteur.

Cigarette finie, mon ami me salua et retourna à ses occupations alors que moi, je restais planté là. Je secouais la tête et finalement commença à m'éloigner du restaurant. Ce n'était pas mes problèmes. Mais j'imaginais alors le regard des autres posés sur elle, critiques, moqueurs. Et la serveuse venir insister pour qu'elle commande ou s'en aille, ne croyant pas à son histoire de rendez-vous. Et je n'eus pas le cœur de laisser une telle chose arriver. Hanne n'était peut-être pas de ces femmes fatales dont on se décroche la mâchoire sur leur passage, mais l'idée qu'on la plante de façon aussi grossière me révoltait. Je faisais donc volte-face et retournais dans le restaurant. D'un pas déterminé je m'approchais d'elle et sans un mot, je prenais place sur la chaise en face de la sienne, jetant un coup d’œil aux personnes autour, afin de les faire taire. Lorsque, enfin, tout le monde se désintéressa de nous, je pris la parole, affichant un air détaché : « Tu comptais attendre encore longtemps ton rendez-vous imaginaire ? » Et enfin, je prenais la peine de relever la tête vers elle, dur, cherchant son regard. Finalement, pas certain qu'elle ait gagné au change.

Son esprit a beau être le plus souvent accaparé, sentimentalement parlant, par une certaine personne, cela ne voulait pas pour autant dire qu'Hanne allait s'arrêter de vivre. Depuis son adolescence, depuis ce jour où Liam l'avait quitté pour des raisons pas franchement valables, la jeune femme avait compris qu'elle ne pourrait jamais rien en tirer par elle-même, quelque soit les efforts faits. Lui seul était à présent capable de changer les choses entre eux alors Hanne avait renoncé à se battre pour rien même si elle éprouvait toujours de réels sentiments pour lui. Elle n'aurait fait que souffrir un peu plus, à se faire éconduire et railler à chaque essai, tout ça n'aurait mené à rien. Alors elle avait continué à vivre, en faisant avec et essayant de ne pas trop prendre les choses à cœur même s'il est vrai que parfois, elle ressentait ce besoin vital d'aller lui crier dessus après avoir découvert telle ou telle aventure. Tout ça ne devait pas arranger son cas mais elle en avait besoin et espérait peut-être aussi qu'il comprenne que ses réactions étaient le fruit de quelque chose de plus sérieux. Ce qui n'était pas encore le cas. Alors, la vie continuait et il arrivait à Hanne, parfois, de sortir avec des hommes même si, dans sa situation, il est clair que rien de concret ne pouvait en ressortir. Amoureuse d'un autre, vœux de chasteté jusqu'au mariage, cela ne laissait pas grand espoir aux tristes soupirants même si bien évidemment, ils n'en savaient rien et c'était bien mieux comme ça. Alors pourquoi sortir ? Bonne question, certainement pour garder la face et vivre comme les autres jeunes femmes, ce devait être l'explication la plus plausible en effet. Et ce soir, justement, Hanne avait un rendez-vous, un dîner assez simple avec un de ses nouveaux collègues, un professeur qui, comme elle, commençait sa carrière cette année. Ayant pas mal en commun, ils avaient décidé de sortir et choisi le restaurant japonais, une grande première pour la jeune femme.

Arrivée en avance, comme à son habitude, Hanne avait pris place à leur table réservée plus tôt dans l'après-midi par son rendez-vous. Préférant l'attendre pour commander, elle attendait, tranquillement, légèrement stressée car peu habituée à se retrouver dans une telle situation. Les clients entraient, les minutes passaient et toujours personne à l'horizon. Hanne gardait cependant bonne figure, après tout, il était peut-être en retard et gardant l’œil sur sa montre, elle ne remarqua même pas l'entrée de Liam dans le restaurant ce qui n'était pas forcément une mauvaise chose en réalité. Elle n'aurait pas eu envie de le voir, pas maintenant alors qu'elle attendait un autre rendez-vous et même si elle espérait que, peut-être, cela pourrait le rendre jaloux, elle savait que ce ne serait pas le cas, chose encore plus blessante en somme. Pourtant, là tout de suite, ce n'était pas Liam qui lui faisait du mal mais son collègue qui n'était toujours pas présent. Cela faisait maintenant une demi-heure qu'elle poireautait et personne à l'horizon. La serveuse ne faisait que venir lui demander sa commande et la dernière fois, elle lui avait même laissé entendre qu'il allait falloir penser à libérer la table. Aucun message sur son portable, Hanne avait vérifié et elle commençait douloureusement à comprendre qu'on venait tout simplement de lui poser un lapin. Mais ça encore, elle aurait pu le gérer, si seulement les regards n'étaient pas tous tourné vers elle. Elle savait pertinemment que demain, les langues se seraient déliées et que tout le monde saurait qu'Hanne Ollivers s'était faite poser un lapin, la pauvre Hanne qui allait finir seule avec ses chats et ses bouquins. Décidée à partir, elle commença donc à reprendre ses esprits quand finalement, en relevant les yeux, elle découvrit Liam devant elle, s'asseyant à sa table. Vraiment, elle avait besoin de ça, besoin, en plus de tous les autres clients, de Liam qui allait certainement s'en donner à cœur joie. Et d'ailleurs, pourquoi perdait-il son temps ici, n'avait-il pas de poule à draguer ailleurs ? « Non. J'allais justement partir, tu ne vas donc pas avoir à me tenir compagnie, rassuré ? » Hanne ne sait même pas pourquoi elle est si dure avec lui, peut-être parce que lui aussi l'est et qu'elle n'a pas vraiment envie qu'il s'amuse encore plus avec elle. Se faire éconduire deux fois dans la soirée, ça, elle ne le supporterai pas.

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« Curiosité n’est que vanité. Le plus souvent,
on ne veut savoir que pour en parler. »

Avais-je été trop sûr de moi pour croire que le rôle de sauveur que je venais d'endosser pour elle pourrait la faire sourire ? Il semblerait que oui, car Hanne resta interdite face à ma soudaine présence, comme si elle m'en voulait d'être intervenu. J'avais pourtant fait l'effort de faire un pas vers elle, pour sauver les apparences. Son apparence. Et j'étais remercié ainsi, plaisant. Je retenais la leçon et, la prochaine fois, me contenterais de rire d'elle de loin, la pointant honteusement du doigt. Pas un instant je n'imaginais qu'elle puisse m'en vouloir pour la réplique que je lui avais lancé sur son pseudo rendez-vous, persuadé qu'elle était maintenant habituée à mon ingratitude quotidienne. Il semblerait que j'avais eu tord, une fois encore. Deux fois en moins d'une minute, dur. Je n'étais pas habitué. Pas habitué non plus à être celui qui allait vers elle et Hanne, celle qui me repoussait. C'était toujours l'inverse qui se produisait et je trouvais ma place fort déplaisante. « Non. J'allais justement partir, tu ne vas donc pas avoir à me tenir compagnie, rassuré ? » Muet, je me contentais de la fixer pendant encore un petit moment. En pleine réflexion, j'hésitais à lui donner raison, me lever et rentrer chez moi. Mais là, c'était mon apparence à moi qui prendrait un coup. Et ça ne me plaisait pas. Je décidais donc de l'ignorer et m'emparais de la carte posée devant elle, me plongeant dedans, tout en demandant d'un air distrait : « Tu as déjà commandé ? » Sans vraiment écouter sa réponse je parcourais du regard les divers plats proposés. N'étant pas spécialement un grand fan de la nourriture japonaise, j'avais quelques difficultés à trouver quelque chose qui pourrait me plaire. Finalement, je trouvais un menu qui me semblait acceptable et je reposais la carte devant moi, réalisant alors que la situation était un peu... gênante. Je me retrouvais à dîner en tête à tête avec Hanne. J'avais connu déjà plus facile à gérer. Je conservais un air désintéressé et parfaitement calme, comme si tout était parfaitement normal. Finalement, curieux et désireux de briser la tension qui commençait à m'envahir je reprenais la parole. « C'était qui ? » Sous-entendu, celui qui n'était pas venu, évidemment. Je faisais signe au même moment à la serveuse de venir prendre notre commande, histoire de ne pas trop trainer. Je n'avais pas la moindre idée de si j'avais bien fait de venir m'asseoir ici, mais je n'allais pas faire demi-tour maintenant. Et me torturer l'esprit de multiples questions en tout genre ne me ressemblait pas. J'aviserais au fur et à mesure, espérant seulement que Hanne se montrerait moins... farouche.

Certes, Hanne devait se montrer bien plus douce en général et il est clair que Liam avait du se trouver assez surpris d'une telle réponse, plutôt agressive ce qui n'était pas le genre de la jeune femme. Plutôt celui de Liam en réalité, peut-être pour ça, d'ailleurs, que la situation lui paraissait étrange mais Hanne s'en fichait, s'il pouvait comprendre ce que ça faisait finalement de se trouver dans cette posture, ce ne serait pas une mauvaise chose. Mais Hanne restait Hanne et si tôt ses mots sortis, elle se sentait coupable. Après tout, Liam ne lui avait rien fait, pas ce soir tout du moins et surtout, il lui sauvait la mise. Le faisait-il par hasard ou parce qu'il avait compris la situation ? Hanne était partagée. Elle préférerait qu'il n'ait pas compris pour sa déconvenue, histoire de ne pas lui donner cette satisfaction mais d'un autre côté, elle n'était pas contre l'idée de croire qu'il puisse être capable de la sauver, en quelque sorte, de cette situation gênante. Il ne dit rien, la fixant et Hanne n'ose même pas s'excuser, elle se retient surtout, pour ne pas lui donner cette satisfaction ce qui ne l'empêche cependant pas de rougir légèrement. La logique aurait voulu qu'il la laisse, c'est toujours ce qu'il fait mais ce soir, étrangement, il reste et prend même la carte, vraisemblablement décidé à dîner avec elle. Etrange, très étrange et surtout, grande première car d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, Hanne n'a jamais dîné avec Liam, encore moins au restaurant. « Non et ce malgré les menaces de la serveuse. » Liam étant en pleine recherche, Hanne finit par faire de même se rendant compte qu'il ne semble pas vouloir la laisser. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose, non, mais la jeune femme est surprise, d'abord qu'il soit là, devant elle, sans l'ignorer pour une fois et surtout parce qu'elle ne s'était pas préparée à ça, à ce revirement de situation plutôt... intriguant. Il suffirait que son rendez-vous arrive et la soirée serait définitivement la plus ahurissante de sa vie. Toujours plongée dans la carte, Hanne est finalement rappelé à la réalité lorsque Liam la questionne. Il était logique qu'il finisse par lui demander, c'est sur mais Hanne n'a pas envie de lui dire, ce ne sont pas ses affaires et surtout, elle n'a pas envie qu'il fasse quoique ce soit par la suite. Elle savait se débrouiller seule. Plus ou moins. « Personne. » Il fait signe à la serveuse ce qui n'est pas pour déplaire à la jeune femme qui se trouve plutôt mal à l'aise dans cette situation. Elle n'a pas envie que tout ça s'éternise, surtout c'est pour que comme à leur habitude, ils finissent leur entrevue en se déchirant. Pour autant, Hanne est intriguée, elle a envie de comprendre l'arrivée de Liam à sa table, une comportement dont elle est assez peu habituée en réalité. « Pourquoi tu es venu ? » Elle aurait bien rajouté un 'tu n'avais rien d'autre à faire ?' ou 'pas d'autres filles à ramener chez toi ?' mais elle se retint. De toute manière, ce n'était pas son genre et depuis longtemps, elle avait arrêté d'essayer de le faire réagir avec de tels propos...

HANNE & LIAM
« Curiosité n’est que vanité. Le plus souvent,
on ne veut savoir que pour en parler. »

« Non et ce malgré les menaces de la serveuse. » J'imagine que tout homme aurait rit de sa remarque, amusé qu'elle tourne les choses ainsi. Moi, je restais de marbre, je n'avais même pas relevé le nez du menu pour lui montrer que j'avais bien entendu ce qu'elle venait de dire. Non pas que je ne m'intéressais pas à ce qu'elle disait, mais je n'estimais pas nécessaire de devoir tout relever et commenter. Je fonctionnais comme ça, bien qu'on me l'ai reproché de nombreuses fois déjà. Mais je n'avais jamais fait partie de ces personnes qui prennent en compte les critiques des autres pour changer, pour corriger leurs défauts. J'étais comme ça et c'était très bien. Ça ne m'empêchait pas de vivre, c'était l'essentiel. Et finalement intrigué par sa condition, je me laissais aller à quelques curiosités, cherchant à en savoir plus sur le pourquoi du comment elle avait terminée seule ici. Et surtout, à cause de qui. Au fond, je ne savais pas trop ce que ça pourrait changer que je le sache ou non. Mais je ne voulais pas creuser de ce côté-là et vidait mon esprit aussitôt, attendant seulement une réponse de sa part qui se fit un peu attendre. Finalement : « Personne. » Je réagissais à peine, camouflant ma frustration passagère. Je n'avais pas l'intention d'insister, nos liens actuels ne me le permettait pas. Et, finalement, c'était peut-être mieux ainsi. J'hésitais à lui répondre quelque chose. Devrais-je lui toucher un mot gentil, pour la réconforter un peu ? J'oubliais vite cette idée. Ça ne me ressemblait pas, tant et si bien que je n'avais même rien qui me venait à l'esprit. J'aurais certainement sortit quelque chose de maladroit qui n'aurait fait que l'enfoncer finalement. En fait, en me taisant je lui rendais service. Hanne était une chanceuse qui s'ignorait en somme. J'avais fait signe à la serveuse et déjà elle s'avançait vers nous, certainement heureuse de se dire que nous serions rentables au final. C'est là que Hanne me questionna à son tour. « Pourquoi tu es venu ? » Je me retrouvais alors bien bête à ne pas savoir quoi lui répondre. Il fallait dire que j'avais réagit un peu à chaud, ne cherchant pas à me poser mille et une question. J'avais fixé mon regard sur la serveuse qui arrivait, me contentant d'ignorer sa question pour le moment. Je passais ma commande en premier et laissait la parole à Hanne. Lorsque la serveuse s'éloigna, je ne pu réprimer un regard dans sa direction, observant ses hanches qui se balançaient de gauche à droite. Et peut-être un peu plus que ses hanches, je le reconnais. Finalement j'inspirais un grand coup pour reporter mon attention sur Hanne et répondait, évasif : « J'avais faim, pas envie de me préparer à manger et une place était libre. » Je prenais soin d'éviter son regard, observant un peu les tables autour de nous, feintant de m'y intéresser. J'étais du genre à fuir les conversations sérieuses, elles me mettaient mal à l'aise et m'obligeait à aborder des choses que je n'aimais pas. Essayant de relancer la conversation sur son cas à elle, je tournais à nouveau la tête dans sa direction. « Tu vas lui donner une autre chance ? » Au crétin qui l'avait lamentablement plantée. J'espérais que non. Je la savais peu rancunière et je savais de quoi était capables les hommes avec les filles comme elle. Rien qui ne m'enchante, bizarrement.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Hanne avait connu Liam bien plus expressif et ce silence qu'il s'appliquait à laisser filer à chacune de ses phrases n'était pas pour la mettre à l'aise. Après tout, s'il n'avait pas envie de parler, s'il ne s'intéressait pas à ma présence, il aurait très bien pu passer son chemin mais il s'était assis là et quelque chose laissait penser à la jeune femme qu'il ne s'agissait pas d'un pur hasard. Alors Hanne lui répond une fois et il ne bouge pas, préférant visiblement la compagnie de son menu. Il ne s'en détache que pour la questionner sur le désastre qu'est sa soirée et dont elle ne sait toujours pas comment revoir le statut. Après tout, avec Liam, elle s'attendait à tout et c'est pour cette raison qu'elle préfère ne pas lui donner l'information qu'il veut, chose qui ne le regarde absolument pas. Elle aimerait bien, elle aussi, ne pas avoir ce genre d'information lorsqu'il s'agit de Liam mais ses frasques faisant bien rapidement le tour de la ville, Hanne était habituée à tout savoir en un temps record, comme si les habitants de cette ville s'amusaient de voir sa réaction. Là encore, aucune réaction de la part de Liam alors qu'elle se serait attendue à ce qu'il proteste ou insiste, elle aurait préféré d'ailleurs car cette ignorance commence à lui peser sans parler de son agacement grandissant. Pour autant, elle ne dit rien et ne laisse rien transparaître, allant même jusqu'à reprendre la parole en le questionnant à son tour alors que la serveuse s'approche pour, finalement, prendre leurs commandes. La pauvre devait s'impatienter ce qui est, d'ailleurs, le cas d'Hanne également qui attend sa réponse, curieuse de savoir quelle mouche a bien pu piquer Liam pour qu'en cet instant précis, il n'essaie pas de se débarrasser d'elle. Les commandes enfin prises, la jeune femme attend mais ne perd alors pas une miette du spectacle si peu étonnant que Liam exécute, toujours enclin à laisser ses yeux vagabonder sur ce qui l'intéresse. Hanne le sait mais là, elle trouve ça légèrement déplacé, même si au fond, il ne lui doit rien du tout. « Ca va ? Je ne te dérange pas ? » lui demande-t-elle un peu sèchement alors qu'enfin la jeune femme obtient sa réponse très peu convaincante. « Il n'y avait pas qu'une place de libre, il y a des tas de places libres et même avec personne déjà installé à la table. Donc c'est quoi, la vérité? » Autrement dit, il aurait très bien pu prendre une table seul ou alors, prendre à emporter, ce qu'il aurait fait s'il n'avait réellement pas eu envie de croiser Hanne. A force, elle commence à le connaître. Néanmoins, la question qu'il lui pose à présent la surprend et elle ne va pas se gêner pour lui offrir le même traitement dont elle a droit depuis des années maintenant. « En quoi ça t'intéresse ? » Ce qui n'est pas totalement faux, si lui n'a pas à lui rendre des comptes comme il lui répète à chaque fois, pourquoi, elle aujourd'hui le ferait-elle ?

HANNE & LIAM
« Curiosité n’est que vanité. Le plus souvent,
on ne veut savoir que pour en parler. »

« Ça va ? Je ne te dérange pas ? » Je reposais aussitôt mon regard dans le sien, esquissant un petit sourire éphémère, qui se voulait amusé. Sa façon de s'indigner m'avait toujours amusé, je ne sais pas pourquoi. Mais après tout, je ne lui devais rien. Ce dîner n'était en rien un rendez-vous. Juste un enchainement de hasard, ni plus ni moins. Et j'avais parfaitement le droit de laisser mon regard se balader où bon me semblait. Décidant de la titiller encore un peu plus que ça, je répond avec une certaine désinvolture : « Non, ça va. » J'évitais soigneusement son regard, juste pour la faire enrager encore un peu plus, me servant un verre d'eau sans même prendre la peine de lui proposer de la servir. J'avais toujours trouvé ça déroutant la façon dont elle pouvait s'emporter sans cesse contre moi, elle qui était au demeurant une personne si calme et si douce. Qu'est-ce que j'avais de si irritant pour qu'elle se mette sans cesse dans des états pareils ? J'aimais croire que, parfois, ce n'était rien d'autre que de la jalousie. Mais depuis le temps, je me disais que ça n'avait pas de sens et que j'étais ridicule et bien imbus de ma personne pour croire une telle chose. Ça me perdra. « Il n'y avait pas qu'une place de libre, il y a des tas de places libres et même avec personne déjà installé à la table. Donc c'est quoi, la vérité? » Je venais claquer ma langue contre mon palais, agacé. Pourquoi cherchait-elle la petite bête ? Si j'avais voulu lui répondre de façon franche dès le départ, je l'aurais fait. Je n'aimais pas qu'on me force à en dire plus, qu'on insiste. Je devenais toujours très con dans ce genre de moment. Je veux dire, encore plus que d'ordinaire. Je plantais mon regard dans le sien et, avec une certaine suffisance, je lâchais : « J'ai eu pitié. » Je méritais une gifle, c'est vrai, je l'avoue. J'avais été d'une indélicatesse incroyable et en plus, je mentais ouvertement. Mais je n'étais pas sûr qu'elle le devinerait. Un peu gêné malgré tout d'avoir sortit ça, je portais mon verre d'eau à la bouche et en prenait quelques gorgées pour m'occuper les mains, essayant de chasser la culpabilité qui m'étranglait. J'aurais pu me rattraper, m'excuser, lui dire que je ne le pensais pas. Mais je n'en fis rien, gardant le silence. La prochaine, elle se contentera de ce que je lui donnais. « En quoi ça t'intéresse ? » Mais c'était quoi cette manie de répondre à mes questions par d'autres questions ? Je soupirais et bougeais un peu sur ma chaise, changeant de position, m'enfonçant un peu plus dedans. Le regard un peu dans le vague, je soufflais d'abord : « Je ne sais pas. » Et ce n'était pas entièrement faux pour une faux, je n'en savais trop rien. Mais après l'atrocité que je lui avais lâchée, je lui devais bien quelques informations complémentaires. C'était la moindre des choses. Je haussais mollement les épaules et poursuivais : « Il te donnera un autre rendez-vous et il ne viendra toujours pas. Je les connais les hommes comme ça. » Bien sûr que je les connaissais, j'en faisais partie. On prenait un malin plaisir à les voir tomber à nos pieds, à avoir cette sensation d'attraction. Mais on ne voulait rien de plus, alors on ne venait pas aux rendez-vous qu'on avaient nous-même proposé. Honteux, dégueulasse, oui. Je sais. « Tu perds ton temps, surtout si.. » Je toussotais, conscient que je m'aventurais dans un terrain glissant en abordant ce sujet. Parler de son côté "prude" ne l'avait jamais beaucoup enchanté auparavant et je craignais qu'elle n'ait pas beaucoup changé depuis le lycée. Je n'avais jamais eu vent de ses nombreuses aventures sexuelles et pourtant, tout se savait ici. J'humectais brièvement mes lèvres et lâchait finalement : « Qu'importe. » Quelque chose me disait que ce dîner n'était peut-être pas une bonne idée. Pas du tout même.

Comme à son habitude, Liam joue avec elle et Hanne n'était pas vraiment préparée à tout ça. Elle s'était préparée à une soirée classique, premier rendez-vous où elle aurait échangé des banalités sur sa vie avec son partenaire en essayant bien évidemment de mettre de côté certains détails pour ne pas l'effrayer ou l'ennuyer et là, elle se retrouvait avec Liam, une très vieille connaissance avec qui elle avait passé toute son enfance, dont elle était tombée amoureuse comme une sombre idiote lors de son adolescence et qui la torturait depuis ce moment précis où il avait choisi les femmes en général à elle, certainement trop peu intéressante à son goût. Chose qu'il prouvait d'ailleurs, en reluquant sans grande délicatesse la serveuse, forcément bien mieux faite qu'Hanne et certainement le genre à coucher, ce qui en somme, est le genre de Liam. Tout ça pour du sexe, toujours le sexe. Hanne soupire mais ne dit rien, il faudra qu'il en fasse plus pour finir par la faire craquer. Après tout, c'est lui qui l'a entraînée pendant des années à supporter nombres de commentaires cruels et autres rejets douloureux alors ça, seulement ça, elle n'en a que faire, ce n'est presque rien. Mais elle sait qu'il ne s'arrêtera pas là, surtout si elle le laisse faire. Il va monter, échelon par échelon jusqu'à la faire réagir, la blesser en somme et jusqu'à ce qu'elle quitte le restaurant, encore un peu plus meurtrie, un peu plus honteuse d'aimer un con. Pourtant, Hanne rentre dans son jeu et le cherche encore un peu plus lorsqu'il lui sort une bêtise au lieu de la vérité concernant la raison de sa venue à cette table. Peut-être aurait-elle du s'abstenir car à peine lui a-t-il répondu qu'elle sent le malaise s'insinuer en elle, comme une enclume lui tombant sur les épaules et dont elle n'arrive à présent plus à se défaire. Elle détourne le regard, ces mots ayant eu l'effet d'une bombe en elle mais avec Liam, fière, elle ne veut rien laisser transparaître. Elle ne veut pas lui donner ce plaisir. « Fallait pas, je sais me débrouiller toute seule. » Depuis le temps qu'elle l'attend, elle a bien du en arriver là et peut-être n'était-ce pas une idée si idiote que ça car il se pourrait bien que jamais cette situation ne change. Son cerveau lui crie de partir, de prendre ses affaires et de le planter là pour se réfugier chez elle et pleurer pour évacuer mais elle résiste et finit par se calmer, espérant qu'il n'aille pas plus loin, pas tout de suite tout du moins. Et voilà qu'il l'interroge sur son rendez-vous, chose surprenante que je ne me gène pas à lui faire remarquer. Il répond, Hanne l'écoute et sourit légèrement à ses réponses plutôt... amusantes. « Et tu sais de quoi tu parles j'imagine. » Il a du faire ça des dizaines de fois très certainement, Hanne n'en serait pas surprise. Après tout, quand on voit de quelle manière il l'avait quittée... Et d'ailleurs, il ne met pas bien longtemps à revenir sur ce sujet, LE sujet qu'il avance toujours et qui a toujours énervé au plus haut point Hanne. Pourquoi devait-elle toujours se justifier sur ses choix ? Pourquoi est-ce que ça posait tant de problèmes ? Elle préférait se dire qu'ainsi, elle éliminait les cons de sa vie mais finalement, son raisonnement lui paraissait de plus en plus bancal. « Non vas-y, dis ce que tu penses. Que parce que j'ai décidé de ne pas coucher avec tous ces hommes, je n'irais jamais plus loin avec eux ? C'est vrai que ça marche bien, regarde toi, tu vas toujours très loin avec tes conquêtes après les avoir emmené dans ton lit, ou ailleurs. » Hanne était en colère, elle était fatiguée de devoir se justifier et d'être jugée ainsi, alors qui lui, au final, ne valait pas mieux et qu'en prime, c'était de sa faute si rien n'avançait.

HANNE & LIAM
« Curiosité n’est que vanité. Le plus souvent,
on ne veut savoir que pour en parler. »

Il y eu un bref silence après ma réplique, pour le moins désobligeante. J'avais été con de dire ça, mais c'était la première chose qui m'était venu à l'esprit, cherchant désespérément un moyen de mettre un terme à ce sujet-là. J'avais certes réussit, mais à quel prix ? Mon regard s'abaissa vers l'eau calme qui stagnait au fond de mon verre, comme si soudainement, ce fut la chose la plus passionnante sur cette terre. Je ne relevais les yeux qu'au moment ou Hanne me répondit enfin. « Fallait pas, je sais me débrouiller toute seule. » Bien, excellente réponse. Si elle avait fait tout un esclandre de ce que je venais de lui dire, j'aurais été mal. Et la serveuse aurait réellement perdu patience, nous fichant à la porte. Je sais qu'il était bête de songer à ce que pouvais penser la serveuse, mais ça m'évitait de me concentrer sur des choses plus sérieuses, que je préférais taire dans un coin de mon esprit. Je me contentais de hausser les épaules pour toute réponse, l'air de dire "tant pis, maintenant c'est fait". Inutile d'épiloguer, ça ne servirait à rien à part attiser la colère de la jolie Hanne. Quoi que, l'idée de la voir sortir de ses gonds n'était pas totalement désagréable. J'aimais bien la voir, elle d'ordinaire si douce, monter sur ses grands chevaux et s'indigner contre moi. Comme si je n'étais qu'un crétin. J'eus un vague sourire qui glissa sur mes lèvres, à peine l'espace d'une seconde, à cette pensée. Je me demandais si nous étions beaucoup à avoir cette capacité à la mettre dans tous ses états. J'espérais que non. Je ne sais pas trop pourquoi. « Et tu sais de quoi tu parles j'imagine. » Je hochais brièvement la tête pour confirmer ses dires. Je n'allais pas nier, tout le monde le savait et j'assumais plutôt bien cette partie de ma personnalité. Ma conscience était en paix, je n'avais pas de problèmes avec moi-même. Ou en tout cas, ils ne concernaient pas mon attitude vis-à-vis de la gente féminine. Et moi qui parlais justement de mon don à la fâcher, j'allais être servit. « Non vas-y, dis ce que tu penses. Que parce que j'ai décidé de ne pas coucher avec tous ces hommes, je n'irais jamais plus loin avec eux ? C'est vrai que ça marche bien, regarde toi, tu vas toujours très loin avec tes conquêtes après les avoir emmené dans ton lit, ou ailleurs. » Je vois. Ma mine s'assombrissait alors que je posais un regard froid et sévère dans le sien, n'appréciant pas franchement ses paroles. C'était certes culotté de ma part quand on savait que j'avais été le premier à m'aventurer dans cette direction, mais qu'importe. J'attrapais la fourchette de ma main droite et me mit à la faire tourner entre mes doigts, nerveux. « C'est un choix. Je n'ai pas envie d'un truc sérieux. » Je ne savais pas vraiment si c'était vrai ou non. Est-ce que je décidais de rester seul, ou est-ce que j'endurais ça sans rien pouvoir y faire ? Allez savoir. J'avais conscience que mon attitude ne donnait pas envie aux femmes d'envisager un avenir avec moi, je ne leur en voulait pas. De toute façon, de toutes les filles avec qui j'avais pu coucher, aucune ne m'avait donné envie de me poser. Je n'avais donc rien à regretter. « Les hommes ont besoin de temps avant d'envisager de se marier. Et ce temps là est bien trop long pour vivre sans sexe. » Je lâchais ma fourchette et venais m'accouder à la table, fixant mes prunelles dans les siennes, avant d'articuler à voix basse : « T'es foutue. » Non, j'étais sérieux. Aucun homme ne serait assez fou pour tenir jusqu'au mariage. Ou dans ce cas, elle devait aller voir du côté des mormons et autres communautés douteuses. La serveuse arriva au même moment avec nos entrées et je la remerciais d'un sourire accrocheur avant de la regarder s'éloigner. Est-ce que je le faisais exprès pour titiller Hanne ? Peut-être bien, oui.

Elle répond, il se tait, classique. Depuis des années, Hanne est habituée à ce comportement, ses regards perçants qui en disent long et son dédain continuel. Que cherche-t-il avec elle ? Pourquoi est-il venu ? Elle ne le saura certainement jamais et c'est ça qui, au fond, l'agace horriblement. Le temps passe, rien ne change, surtout pas lui et Hanne commence à se lasser, à perdre espoir et à souffrir de plus en plus de cette situation. Alors elle lui répond, certainement de manière beaucoup moins douce qu'en général et elle s'en fiche éperdument. Si au moins cela pouvait le faire réagir un peu plus qu'à son habitude, ce serait déjà ça de gagner. Mais là encore, rien, pas même un regard, trop occupé à regarder autour de lui et peut-être même à chercher celle qu'il ramènera ce soir, à défaut de pouvoir le faire avec Hanne. Ce serait bien son genre, et encore plus en sa présence. Mais alors pourquoi ? La faire enrager ? Félicitations, ça fonctionne mais pour combien de temps encore, bonne question. Et le pire dans cette histoire, c'est que même lorsqu'elle essaie de tourner la page, quand elle espère trouver quelqu'un d'autre, quelqu'un qui ne la verrait pas simplement comme la solution à un besoin charnel et lui ferait oublier Liam, elle se fait planter, laisser en plan et c'est lui, Liam, qui arrive, sans raison apparente, comme ça par pur hasard. Hanne finissait alors par croire que la providence en avait contre elle car si au départ elle avait cru que le retrouver à chaque fois était un signe, elle s'était résignée depuis. Il ne dit rien, toujours rien, ne fait qu'hocher la tête pour confirmer ses dires, chose dont elle n'avait pas besoin et qui l'agace encore plus. Et puis, miracle, une réaction, à croire qu'Hanne use assez bien du cynisme pour le faire réagir même si elle n'aime pas tellement ce regard qu'il lui lance. Quant à sa réponse, elle arrive même à la faire sourire tant elle ne l'étonne pas. Toujours la même rengaine, toujours cet air prétentieux comme si lui avait tout compris et Hanne rien. Devait-elle oublier ses convictions pour espérer trouver un homme ? Hanne n'en était pas sûre. Tout ça ne ferait que rendre la situation encore plus difficile, à passer son temps à se faire berner par des hommes comme Liam en espérant trouver l'amour. Non, Hanne ne voulait pas de ça, elle préférait encore rester vierge et seule que de passer pour une idiote naïve ayant couché à tort et à travers. Alors ce que lui dit Liam, elle s'en fiche. Elle connaît son point de vue diamétralement opposé du sien et en un sens, tout ça est presque risible. Lui veut rester seul et se trouve entouré de dizaines de femmes. Elle veut trouver quelqu'un et n'arrive même pas à intéresser assez son unique rendez-vous du mois pour qu'il vienne la rejoindre. Et si la situation n'était pas assez difficile ainsi, il fallait que Liam en rajoute, s'accoudant alors sur la table, obligeant la jeune femme à soutenir son regard et l'enfonçant encore un peu plus. Les entrées arrivent alors mais Hanne n'a même plus faim, elle n'a qu'une envie, s'en aller et le laisser lui, seul, vu que c'est ce qu'il recherche. Hanne ne dit rien, elle préfère se taire et en elle, le malaise grandit. C'est trop dur, vraiment trop dur d'être là avec lui et de le laisser enfoncer la lame toujours plus profondément. Hanne jette donc un œil à son plat, peu inspirée puis finalement, trouve le courage de prendre la parole. « Et ça t'avance à quoi de venir là me dire ça ? » Oui, c'est vrai, à quoi cela lui sert-il ? « Si tu es venu pour me dire tout ça, je préfère encore m'en aller dès maintenant. » Pourtant, elle aimerait tellement rester avec lui, si seulement il pouvait se montrer plus agréable...

HANNE & LIAM
« Curiosité n’est que vanité. Le plus souvent,
on ne veut savoir que pour en parler. »

Hanne restait silencieuse face à mes remarques. Elle se contentait de soutenir mon regard comme elle pouvait, mais je la sentais déstabilisée, mal à l'aise face à moi et ce que je pouvais lui lancer au visage. Mais il fallait qu'elle comprenne, merde. A ce rythme là, elle finirait seule, pleine de chagrin et d'amertume. Qui a envie de vivre ainsi, de finir ainsi même ? Pas moi et je savais qu'elle non plus. Elle avait ses convictions certes et c'était tout à son honneur, mais il faut savoir vivre en son temps. Et malheureusement, maintenant, ça ne marchait plus. Les gens se marient tard ou ne se marient même plus, ils se découvrent, couchent ensemble, s'installent, font des enfants. Et après, plus tard, éventuellement, ils se marieront. Peut-être, rien n'était moins sûr. Elle était née à la mauvaise époque et ça me tuait de voir qu'elle ne comprenait pas, qu'elle restait bornée dans ses idées dépassées. J'aurais voulu poser mes mains sur ses épaules et la secouer un coup pour la ramener à la raison. Mais, je crois, c'était peine perdue. Hanne ne voulait pas changer, elle s'accrochait à ses décisions comme on s'accroche à la vie quand il ne nous reste plus que ça. Et je pensais à tous ses enfoirés qui, comme moi, tenteront de la berner, de l'amadouer pour faire abaisser sa garde. Qui lui promettront certainement monts et merveilles en gage de bonne foi, pour finalement la planter au restaurant en comprenant que c'était peine perdue. Je trouvais ça triste. Parce qu'Hanne était quelqu'un de bien, qui méritait d'être traitée mieux que ça et pourtant, j'étais moi-même incapable de faire le moindre effort. Finalement, j'étais peut-être le plus pathétique des deux. « Et ça t'avance à quoi de venir là me dire ça ? » Moi, ça ne m'avançait à rien. C'était pour elle bordel, pour qu'elle ouvre les yeux, qu'elle réagisse, qu'elle redescende sur terre. Je me redressais en soupirant, laissant mon regard s'échapper du sien pendant quelques instants, ne sachant pas vraiment quoi lui répondre. « Si tu es venu pour me dire tout ça, je préfère encore m'en aller dès maintenant. » Je plissais un peu les yeux, contrarié par sa réflexion. Personne ne s'en allait maintenant. J'étais venu m'asseoir à sa table, sous le regards des habitants de la ville, il était hors de question que maintenant elle s'en aille. J'imaginais déjà cette histoire remonter aux oreilles de ma famille et les remarques désagréables qui iraient avec. Non, personne ne bougerait de là. Ma voix se fit un peu dure alors que calmement je répondais : « Calme toi, personne ne s'en va, Hanne. » Je lui désignais ensuite son assiette pour lui faire signe de manger et, moi-même, j'attrapais mes couverts et dans un calme olympiens, comme si tout était parfaitement normal, je prenais ma première bouchée. Prenais le temps de mâcher, sans véritablement me régaler, une chose que je ne me gênais pas de préciser d'ailleurs. « C'est vraiment infecte cette bouffe. » Non vraiment, ce n'était pas mon truc. Je préférais la nourriture indienne à vrai dire, toutes ces épices avaient quelque chose de magique contre mon palais. Mais revenons en à Hanne. « Et maintenant, c'est supposé être le moment où on dit du mal de celui qui n'est pas venu ? » J'engageais la conversation comme je pouvais, cherchant à l'inciter à garder ses fesses posées sur cette chaise tout en échappant à ses questions. Je recommençais à manger, mon regard restant toujours soigneusement éloigné du sien, comme pour conserver une certaine distance entre nous. Comme si je ne m'intéressais pas réellement à sa présence. Comme si.

Que lui répondre ? Hanne n'en savait rien. Car au fond, elle était tout à fait consciente qu'il avait raison, que dans cette société, trouver un homme qui accepterait ses convictions et avec qui elle pourrait construire une relation sans sexe était une hérésie. Mais elle avait cet espoir naïf d'y arriver, elle qui, petite fille, s'était forgée cette image erronée de la famille parfaite, de la femme parfaite, de ce qu'elle souhaitait pour son futur. Elle s'était trompée ou alors n'avait pas la force d'aller au bout de ce dont elle croyait malheureusement. Et si le destin n'était déjà pas assez cruel avec elle, il avait fallu qu'il mette sur sa route Liam et qu'en plus de ça, elle en tombe amoureuse. Liam aurait pu être un homme bien sous tout rapport mais là encore, tout aurait été trop facile. Lui était donc une homme de son temps, ceux qui s'amusent, ceux qui ne papillonnent de femme en femme, ceux qui ne se marient pas. Tout le contraire d'Hanne en somme, bien évidemment. Alors elle luttait, jour et nuit, pour essayer de passer à autre chose, essayer de se forger une belle vie même si tout cela était bien trop compliqué en réalité. Et ce soir aussi, la situation est compliquée. Il est là, s'étant imposé à Hanne sans qu'elle ait pu dire un mot. N'étant pas bête, il avait bien vite compris ce qui se tramait et donc, s'en amusait. Il aurait été folie que de penser qu'il aurait pu louper une occasion pareille. Sauf qu'à chaque mot, il était plus cruel. A chaque mot, Hanne vacillait un peu plus, perdant sa répartie et son enthousiasme. Se pouvait-il qu'une fois, juste une fois il se comporte comme un homme décent et qu'ils puissent passer un moment agréable ? Impossible. Pas pour le moment en tout cas. Alors Hanne supportait. Elle l'écoutait sans rien dire et n'avait plus qu'une envie, s'en aller et finir seule, chez elle, comme à son habitude. Une habitude que ne devait pas partager Liam, pour sûr. Hanne reprend la parole, il ne répond pas. Comme d'habitude. La seconde tentative est pourtant plus fructueuse. Il ne veut pas qu'elle parte. C'est déjà ça. Bien que sa voix et son ton ressemblait plus à un ordre qu'une supplication. Alors Hanne reste, elle ne dit rien et reste, obéissant même lorsqu'il lui demande de manger. Elle aurait tellement voulu se rebeller pour une fois mais là encore, elle n'en a pas la force. Sans grand appétit, elle commence son plat qui n'est pas si mauvais même si elle a connu mieux. Liam par contre, n'a pas l'air d'avoir tiré le bon numéro ce qui tire un sourire à la jeune femme. « Ce n'est pas moi qui ait choisi le restaurant. » Comme pour se dédouaner de son malheur... Après tout, il pourrait lui rejeter la faute, ce ne serait pas la première fois. Hanne continue à manger et finalement, il la questionne à nouveau. Dire du mal de celui qui n'est pas venu ? Elle croyait qu'il s'en fichait... « Oui sauf qu'en général, on fait ça avec une amie, pas son ex. » Même si ex est un bien grand mot les concernant. Mais là n'est pas le sujet qui inquiète Hanne, mais plutôt celui qui précédait. Est-elle vraiment foutue ? Si c'est le cas, que devrait-elle faire ? Bonne question pour elle qui n'a jamais connu une autre vision que la sienne. Alors, non, elle ne sait pas comment elle est sensée faire et quoi de mieux donc de demander à Liam, lui qui s'y connaît si bien. « Et donc si je suis foutue comme tu dis, je suis sensée faire quoi ? » Elle est bien curieuse de connaître sa réponse...

HANNE & LIAM
« Curiosité n’est que vanité. Le plus souvent,
on ne veut savoir que pour en parler. »

« Ce n'est pas moi qui ait choisi le restaurant. » Je hochais doucement la tête, sans la regarder. Elle venait de toute évidence de s'éviter une nouvelle remarque acerbe de ma part et ça me faisait doucement sourire. Car si mes intentions ne se voulaient pas si mauvaises que ça à chaque fois que j'ouvrais la bouche, je ne pouvais empêcher le fait de la heurter. J'avais bien vite comprit que de toute façon, mon naturel ne pourrait rien avoir de bénéfique pour elle. Elle était trop douce et sensible à ce qu'il pouvait se dire autour d'elle. Et, même lorsque je ne disais rien, je la blessais. J'en arrivais à me demander pourquoi elle continuait à m'adresser la parole, parfois. Pourquoi toutes ces crises, pourquoi me reprocher des tas de choses. M'ignorer était, assurément, la meilleure chose qu'elle pourrait faire pour elle. Mais si j'avais toujours trouvé Hanne -trop- raisonnable, en ce qui me concernait c'était totalement l'inverse. Ce qui me dépassait assez, je dois l'avouer. Chaque jour un peu plus étonné de son attitude, elle arrivait presque à me mettre mal à l'aise. Rarement, mais ça arrivait, lorsque je m'interrogeais un peu trop sur la nature de son comportement. Je ne laissais cependant rien transparaitre, lui répondant toujours avec la même nonchalance. Comme si elle n'était rien, ni personne. « Oui sauf qu'en général, on fait ça avec une amie, pas son ex. » Je relevais la tête vers elle, m'extirpant brusquement du dédale de mes pensées. J'avais toujours trouvé qu'elle avait donné trop d'importance à la brève relation que nous avions eut au lycée. Mais je ne pouvais pas vraiment le lui reprocher, les filles avaient un côté sentimental que nous les hommes semblions avoir été dépourvu à la naissance. Pour la plupart d'entre nous, en tout cas. Je me laissais aller à repenser à cette période de ma vie et je réalisais avec amertume que les choses n'avaient pas tant changées que ça depuis. Je déglutissais avec difficulté, n'appréciant guère de faire état de ma situation actuelle. Après un bref soupire qui ne lui était pourtant pas destiné, je rétorquais : « Ex, c'est peut-être un peu excessif. Tu ne crois pas, Hanne ? » Je savais d'avance qu'elle ne partageait pas mon opinion, ayant déjà évoqué à quelques reprises ce sujet. Et je ne savais pas vraiment pourquoi je me tuais à enlever toute importance à notre "relation" passée. Je dardais mes prunelles sur son visage de poupée, plissant doucement mes yeux, songeur. Et je me surprenais à la trouver particulièrement jolie ce soir. Elle était de ces femmes qui ont du charme, qui ont ce "petit quelque chose" qu'on explique pas, mais qui captive. Je détournais brusquement la tête, feintant de m'intéresser à une table plus loin, où trônait trois jeunes femmes en talons hauts. Typiquement le genre de filles que je ramenais habituellement chez moi. J'étais d'un classique effrayant. Qu'importe. Je reprenais quelques bouchées, ne me privant pas pour grimacer encore et encore, vraiment déçu par ce goût déplaisant. « Et donc si je suis foutue comme tu dis, je suis sensée faire quoi ? » Je terminais de mâcher ce que j'avais en bouche, un peu au ralentis. Je n'étais pas certain de pouvoir lui apporter une réponse crédible au vu de mon attitude pour le moins libérée. Je prenais cependant la peine de me pencher sérieusement sur la question et je me mis à songer à ce que ça donnerait si Hanne devenait une femme de son temps, dirons nous. Sans excès cependant. Et là, une étrange sensation désagréable me serra la gorge. L'imaginer aux bras d'hommes, heureuse, construire sa vie... cette image me déplaisait. C'est donc sans me maitriser que je répondis d'abord, d'une voix sèche et agacée : « Je ne sais pas. » Et voilà que je me servais à nouveau de l'eau avant de boire tout le contenu de mon verre d'une traite, afin de me remettre les idées en place. J'étais parfaitement ridicule à réagir comme ça. Je soufflais un grand coup et, prenant sur moi, je tentais : « Ne pas attendre le mariage règlerait bon nombre de tes soucis. » Il n'était pas question de coucher avec le premier venu, juste de ne plus repousser l'échéance d'un rapprochement physique trop loin. C'était trop d'engagement pour nous sinon, rien de tel pour nous faire fuir à toute vitesse. « A toi de voir ce qui compte le plus pour toi. » Je ne pensais pas non plus que se dénaturer était nécessaire si elle était assez heureuse comme ça. Mais l'était-elle vraiment ? Je m'immobilisais quelques secondes, fixant mon regard dans le sien, comme si j'allais trouver la réponse à ma question.

Le temps passait et doucement, Hanne arrivait à calmer les émotions qui lui déchiraient les entrailles. C'était toujours la même chose avec Liam et ce depuis le jour où elle avait reçu la possibilité d'éprouver plus que des sentiments amicaux voir fraternels à son égard, le tout étant arrivé en même temps que les hormones. Elle avait du combattre sans cesse ce ressenti mais surtout, la peine que lui causait le fait de la voir si bien entourée, à toute heure de la journée et même parfois de la nuit. Eux qui étaient si proches, elle qui espérait toujours un peu plus en vain. Et si ses espoirs avaient été l'espace de quelques jours exaucés, la chute s'était révélé encore plus douloureuse. Une chute qu'en plus, elle revivait incessamment et surtout lorsqu'elle mettait la chose sur le tapis. La réponse de Liam était toujours la même et aujourd'hui encore, elle n'avait pas changé. Il réfutait sans cesse cette idée qu'un jour, ils avaient pu être ensemble et pourtant, c'est bien ce qui s'était produit, ils avaient été en couple. Certes l'idée du couple à cet âge était assez fragile et ne voulait pas dire grand chose si ce n'est se tenir la main en public et passer du temps ensemble. Ils ne s'étaient d'ailleurs même pas embrassés ou alors pas comme Hanne l'aurait aimé. Tout ça avait été rapide, superficiel et niais mais dans l'esprit de la jeune femme, cela faisait de lui son ex. Dans celui de Liam, elle ne devait rien être de plus qu'une toute petite poussière parmi des centaines d'autres poussières. Et c'était ça, en réalité, le plus douloureux. Pour autant, Hanne était habituée et elle ne réagit même pas, ne répondant même pas à sa question, préférant pour une fois le prendre à son propre jeu. « Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi on parlerait de ça si tu n'es ni mon ex, ni un ami. Au final, tu devrais donc n'en avoir rien à faire vu que l'un pour l'autre, selon tes dires, nous ne sommes rien du tout. Juste des camarades d'école, ce qui remonte à longtemps. » Lui dire cela lui en coûtait mais Hanne était légèrement en colère contre lui. C'est bien ce qu'il pensait de toute manière, non ? Elle n'était pas son ex, certainement pas son amie alors que leur restaient-ils ? Plus grand chose. Rien de très actuel en tout cas. La serveuse vint alors récupérer leurs assiettes presque vide tandis qu'un sujet un peu plus épineux s'engageait dans la conversation. Si Hanne faisait tout de travers et si Liam n'arrêtait pas de lui répéter, la moindre des choses était qu'il lui donne des conseils, qu'il partage avec elle son savoir même si Hanne doutait de les trouver à son goût. Mais elle lui posa tout de même la question et visiblement, elle ne laissait pas Liam de marbre. Il commença par s’énerver en répondant qu'il n'en savait rien et ensuite, après un léger vide et un verre d'eau englouti, il retrouva son calme et finit par donner une réponse un peu plus construite. Elle l'écouta, sans rien dire et alors qu'il plongeait son regard dans le sien, Hanne lui répondit d'un simple « Ok. ». La réponse était vague, elle pouvait dire tout et rien à la fois mais c'est sur ce vague qu'Hanne comptait. Après tout, au fond, elle savait qu'il n'avait pas tord mais surtout, elle se rendait petit à petit compte qu'ainsi, jamais elle ne pourrait réellement savoir si Liam tenait vraiment à elle. Car avec ses convictions et son peu de rendez-vous, elle était la situation parfaite pour Liam qui savait qu'elle était quasi 'hors marché' et que donc, personne ou presque ne s'intéresserait à elle. Si ensuite cela devait arriver, il serait aux premières loges et auraient largement le temps d'agir si tant est qu'il en ait envie car bien évidemment, Hanne n'était pas du genre à rentrer en catimini à la fin d'une soirée avec un homme sans qu'il le sache. Non, le jour où cela arrivera, tout le monde sera au courant. La situation était donc parfaite pour Liam qui pouvait dormir sur ses deux oreilles et continuer avec son ballet incessant de jeunes femmes. Alors peut-être que c'était là la solution, le moyen pour elle de savoir si vraiment Liam s'intéressait encore à elle ou pas. Peut-être qu'elle devait passer à la vitesse supérieure, peut-être qu'elle devait entrer sur le marché et montrer à Liam qu'on pouvait s'intéresser à elle. Et peut-être qu'il comprendrait que ça fait mal. La serveuse revint alors, apportant les plats principaux et Hanne entama rapidement son plat sans rien dire d'autre, levant seulement le regard de temps à autres pour observer Liam.